Emmanuel Javal, entrepreneur dans les nouvelles technologies « L’intérêt croissant pour l’île et son ascension ne sont pas en soi des dangers »

L’entrepreneur à succès, qui réside une partie de l’année à la campagne d’Alaior, nous ouvre la porte de sa vision pour l’avenir de l’île.

Comment et pourquoi a commencé votre histoire d’amour avec Minorque ?
— Par hasard, comme les plus belles rencontres. Je connaissais les autres îles des Baléares, mais pas Minorque. Lors d’un séjour entre amis, en empruntant la route d’Es Grau, j’ai été frappé par la beauté brute du paysage, si peu développé, si préservé. Cela m’a immédiatement rappelé la côte ouest des États-Unis où nous vivions. J’ai vite compris que Minorque avait échappé, par miracle, au tourisme de masse qui défigure et uniformise. J’ai aussi été impressionné par la vitalité de son agriculture et la beauté de son littoral. Puis j’ai découvert son histoire millénaire, sa riche culture et le caractère cosmopolite de ses habitants.

Pourquoi les Français aiment-ils tant Minorque ? Comment est né cet afflux et cet intérêt pour l’investissement ?
— Les Français ont un sens aigu du beau, du bon, de l’inhabituel. Ils manquent parfois de pragmatisme et réagissent souvent de manière un peu irrationnelle. Mais cette sensibilité leur permet aussi de percevoir ce que d’autres ne voient pas, d’oser ce que d’autres n’osent pas. La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris en est un bon exemple. Qui d’autre que les Français aurait osé cela ? Ils ont peut-être été parmi les premiers à saisir l’existence des trésors extraordinairement bien conservés et précieux que Minorque cachait, à une époque menacée par les déséquilibres d’un développement parfois incontrôlé.

S’agit-il uniquement d’un intérêt immobilier ?
— Je ne le crois pas du tout. Certes, en raison d’un certain retard de développement par rapport à ses voisines, l’île a offert ces dernières années de belles opportunités d’investissement. Aujourd’hui, les prix se sont ajustés. Ils pourraient continuer à augmenter, notamment pour les propriétés les plus exceptionnelles. Je pense en particulier aux magnifiques fincas introuvables ailleurs. Les autres secteurs économiques et commerciaux bénéficieront évidemment d’un effet de ruissellement. Il y aura de nombreuses opportunités de développement et d’investissement en dehors du seul immobilier.

En tant qu’expert en nouvelles technologies de la communication et du numérique, quelles opportunités voyez-vous pour Minorque ?
— Les technologies numériques sont un formidable levier pour connecter les territoires isolés au reste du monde, Minorque incluse. Quand je suis à Minorque, je travaille comme à Paris. Internet, les visioconférences et l’économie numérique permettent de s’affranchir des contraintes géographiques et d’être efficace partout. Mais je ne crois pas que Minorque développe pour l’instant un secteur spécifique des technologies de l’information. En revanche, elle a une carte majeure à jouer dans les technologies liées à la préservation de l’environnement. C’est un marché en croissance. Le XXIᵉ siècle sera celui des technologies de l’information, mais aussi de celles dédiées à l’environnement.

D’après ce que vous avez appris de Minorque (économie, société, environnement…), comment voyez-vous son évolution dans les années à venir ?
— C’est difficile à dire. Cela dépendra surtout des choix politiques des Minorquins. Jusqu’ici, l’essentiel a été préservé. Les Minorquins me semblent conscients de la richesse de leur île et de l’importance de la protéger. Mais la pression foncière, les transformations inévitables… tout cela va s’accentuer. L’intérêt croissant pour Minorque et son ascension ne sont pas en soi des dangers : ils témoignent de la valeur du lieu et des ambitions de préservation défendues par ses amoureux. Mais cela ne doit pas empêcher les Minorquins d’en profiter pleinement. Comme dans les grandes villes, une partie du territoire doit être protégée et réservée à ceux qui y vivent à l’année. Minorque doit miser sur la qualité plutôt que sur la quantité, éviter les écueils de l’argent facile et la tentation des gains à court terme. Elle a un énorme potentiel dans le développement durable et la protection de l’environnement, un marché bien plus prometteur que le tourisme traditionnel. Le futur exige un modèle mesuré, contrôlant les flux et préservant les équilibres naturels. Ce modèle, perçu autrefois comme une faiblesse, est aujourd’hui une grande force.

Votre finca Río de la Plata, que vous aimez tant partager avec les Minorquins, comment a-t-elle changé votre vie et celle de votre famille ?
— Elle nous a rapprochés de la nature, tout simplement. Là-bas, c’est elle qui impose son rythme, ses humeurs, ses surprises. Ce que j’aime le plus, c’est de ne pas avoir le contrôle. J’ai passé ma vie à vouloir tout maîtriser. Ici, je dois m’adapter, composer avec des forces qui me dépassent, et cela me fait beaucoup de bien. C’est un lieu où je viens recharger mes batteries. La richesse que j’y trouve est d’une autre nature, complémentaire. Plus que le PIB, j’associe Minorque à la notion de Bonheur Intérieur Brut, un indicateur adopté sous différentes formes par l’ONU et l’OCDE.

Dans dix ou quinze ans, vous voyez-vous retraité dans le Grand Paris ou paisiblement à Río de la Plata ?
— Les deux. Pourquoi choisir, si c’est possible ? Entre l’effervescence de Paris et la douceur de Minorque, chacun répond à une facette de ma vie. Je suis heureux d’avoir plusieurs lieux de vie.

Minorque vit encore principalement du tourisme. Pensez-vous vraiment que nous éviterons les erreurs commises par Majorque ou Ibiza ?
— Minorque s’est préservée, pour diverses raisons, des excès du tourisme sans limites qu’ont connus les années 70 et 80. Je crois que les risques de « destruction massive » sont derrière nous. Le modèle économique qui a porté le développement d’Ibiza et de Majorque est obsolète. Le tourisme de masse est non seulement destructeur pour l’environnement, mais aussi destructeur de valeur à moyen terme. Minorque doit suivre sa propre voie, sans chercher à imiter ses voisines. Cela exige du courage et de solides convictions. L’île possède de nombreux atouts : authenticité, culture, histoire, richesse environnementale et sens naturel de la modération. C’est sur ces bases qu’elle doit bâtir son avenir, sans céder à la facilité, et en continuant de s’enrichir des apports extérieurs qui ont contribué à sa singularité. Prendre le meilleur du monde et laisser le pire.

Minorque est-elle pour vous un lieu pour vivre ou pour travailler ?
— Ce n’est pas mon lieu de vie principal. C’est un lieu où je viens me ressourcer. La richesse que j’y trouve ne se mesure pas en euros, mais en bien-être.

Et face au monde contemporain, depuis Río de la Plata ?
— Les turbulences géopolitiques ont toujours existé. Elles sont inquiétantes, elles nous interpellent, mais elles ne doivent pas nous empêcher de vivre et de nous concentrer sur l’essentiel. En donnant l’exemple d’une vie harmonieuse, simple, dans le partage et la bienveillance, on ne résoudra pas tous les problèmes, mais on peut montrer qu’il existe une autre voie que celle de la confrontation.

Miquel Àngel Limón

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